« Du plus profond
de mon cœur monta un oiseau qui s’envola vers les cieux. Il s’envola encore et
toujours plus haut, et devint de plus en plus grand. Au début, ce n’était
qu’une hirondelle, puis une alouette, puis un aigle, puis il fut aussi grand
qu’un nuage de printemps, et il remplit ensuite les cieux ensoleillés. Un
oiseau s’envola de mon cœur vers le ciel. Et il croissait de plus en plus en
volant. Pourtant, il ne quittait pas mon cœur. »
Khalil Gibran, poète
« Mon intention est de
travailler sur un vêtement de résistance, témoigner de l’obstination de la
liberté face à l’oppression, de l’attirance qu’éprouve l’Homme envers elle et son
symbole principal : l’oiseau ».
Qu’évoque le mot « oiseau » ? vol, liberté, élévation, légèreté, air…
Les oiseaux sont, de part
leur capacité à voler, le symbole et une allégorie de la liberté. Les oiseaux
se déplacent où ils veulent, quand ils veulent et surtout grâce à leurs ailes.
De plus, depuis les temps anciens l’Homme s’y associe. Quelques expressions
peuvent en témoigner « avoir un appétit
d’oiseau », « une cervelle de moineau
» ou encore des comparaisons « quel
oiseau rare », « c’est un drôle
d’oiseau ». Chacun aurait alors un point commun avec les oiseaux : l’amour
pour la liberté.
Tout en m’inspirant du
travail de Ruriko Muramaya la Robe d’Amour, j’ai réalisé une robe noire à traîne
dont une partie est recouverte de plumes partant du haut du cou et descendant
jusqu’aux pieds. Quatre oiseaux de Guadeloupe sont représentés par les couleurs
des plumes :
- L’Aigrette bleue, par le
bleu clair et foncé. C’est un oiseau difficile à trouver en Guadeloupe par sa
rareté. De la famille des échassiers, elle est très élégante, son plumage perd
la vivacité de ses bleus au fil du temps mais n’en reste pas moins beau. La
mode aurait causé sa disparition à plusieurs endroits. De part son élégance,
elle exprime sur ma robe l’attrait, la charme qu’a la Liberté sur l’être
humain.
- Le Pélican brun, par le
marron. Aussi difficile à trouver en Guadeloupe, cet oiseau possède une allure
lourde et un très long bec à poche servant d’épuisette pour capturer les
poissons, il vit en communauté. Il symbolise l’emprise qu’a la Liberté sur nous
(par son allure), le fait que l’on veuille cueillir celle-ci par tous les
moyens possibles (par sa poche) mais aussi le fait que la liberté soit un
objectif commun (vie en grande communauté).
- Le Colibri madère, par le
noir, rouge et vert. Oiseau comme de Guadeloupe. Bien qu’il soit de
petite taille, le colibri est vif mais surtout violent, il est muni d’un long
bec lui permettant d’atteindre sa nourriture. Il représente la hargne et les
moyens que l’être humain peut mettre dans sa quête de liberté.
- La Tourterelle turque, par le marron. Plus commun en Guadeloupe, à cause de
sa silhouette élancée, elle est souvent prise par un rapace par les passereaux,
ce qui lui vaut quelques agressions de leur part. Elle représente les victimes
de la quête de la Liberté.
Malgré leurs sens individuels, les plumes de ces oiseaux représentent les
touches de bonheur qu’apporte la liberté dans la vie, quant à elle représentée
par la robe noire. Mettre les plus sur une longueur en plusieurs couches donne
un effet plus naturel à ce plumage, c’est une accumulation similaire aux fleurs
sur la réalisation de Muramaya.
La robe évasée et sa traine
jouent un rôle important quant à la relation qu’elles entretiennent avec le
vent. En effet de par leur forme, le vent les fera virevolter à son rythme et
les mouvements traduiront à la fois la légèreté mais aussi la puissance de
l’envol.
Ma robe est noire, signe de tristesse, de douleur,
d’oppression ; elle possède une traine, symbolisant tout les malheurs que
la liberté a subit et supporte. Les plumes quant à elles ne sont situées que
sur une partie de la robe, l’oiseau est déplumé, il a déjà beaucoup combattu pour pouvoir voler.
Celles-ci respectent les couleurs de quatre
oiseaux de Guadeloupe, deux communs : le colibri madère (dont les
couleurs sont le vert, le rouge et le noir) et la tourterelle turque (le marron
claire) ; et deux rares : le pélican brun (le noir, le marron foncé
et clair aussi) et l’aigrette bleue (le bleu foncé et le bleu clair). Ces
oiseaux symbolisent la Guadeloupe, les racines, le lieu de vie,
d’évolution ; mais aussi une île dont les habitants ont subit l’esclavage,
l’annulation de leur libre arbitre. La forme de la robe est lâche, elle est
souple au vent, elle est signe de légèreté. Il y a donc un rapport entre les
plumes, la robe et le vent.
Cependant, l’oiseau est démuni d’aile, s’il n’en a plus,
il ne peut plus s’en aller, il est cloué au sol. La liberté ne peut plus
décoller à cause de l’oppression. C’est pour cela que durant la performance,
j’incarnerai celle-ci, blessée, en agonie et clouée au sol, qui tentera de se traîner
jusqu’au point de ralliement.